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« Paroles de lecteurs » – Dépenses publiques : mais où l’argent va-t-il ?

Depuis des décennies persiste un mystère, un mystère bien français concernant les finances publiques. Un mystère auquel bien peu de personnes s’intéressent et dont bien peu tentent de trouver l’explication. Ce mystère se résume à une question : où disparaît l’argent public ? Tout citoyen français est légitime à se poser cette question d’autant plus s’il appartient aux 44 % qui s’acquittent de l’impôt sur le revenu. Mais n’oublions pas que ce dernier ne représente qu’une faible part des recettes de l’Etat.
Dans quel puits sans fond l’argent des Français est-il englouti ? Dans quel tonneau des Danaïdes disparaissent les impôts et taxes prélevés par l’Etat ? Cette question est d’autant plus pertinente pour la France que notre pays, avec un taux de 46,1 %, est devenu le champion européen des prélèvements obligatoires alors qu’il est parmi le top 5 des pays européens ayant la plus forte dette avec plus de 3 000 milliards d’euros, soit 112,5 % de son produit intérieur brut, et que ses fonctionnaires enseignants, policiers, infirmières et autres personnels comptent parmi les moins bien payés de l’Union européenne.
Mais peut-être y a-t-il une ou des explications à trouver dans la situation de nos principaux services publics et/ou dans les missions assurées par l’Etat ou encore dans le développement de projets porteurs pour l’avenir du pays ? Faisons un tour d’horizon des principaux domaines publics essentiels au bon fonctionnement de notre pays et, surtout, au bien-être de ses citoyens.
Ce déficit et cette dette s’expliquent-ils par l’état de notre système de santé ? La qualité des soins et la performance de notre système hospitalier ? Non. Malgré la revalorisation post-Covid des traitements des personnels, ceux-ci sont toujours sous-payés par rapport à la moyenne européenne et démotivés. Nombreuses sont les infirmières et aides-soignantes qui abandonnent leur métier en hôpital ou définitivement à cause de conditions de travail dégradées. Manque de personnel. Manque de lits. Manque de matériel. Ce n’est pas dans notre système de santé que s’évapore l’argent public.
Pas plus que dans nos services de sécurité. Manque de policiers et de gendarmes. Commissariats délabrés. Dizaines voire centaines de milliers d’heures supplémentaires non payées. Manque de matériels obligeant les policiers à s’équiper eux-mêmes ! Cherchons du côté des armées. Vu les dangers qui se multiplient dans le monde, il serait compréhensible que l’Etat surinvestisse dans le militaire. Force est de constater que ce n’est pas le cas. A telle enseigne que le gouvernement vient de faire voter une enveloppe de plus de 400 milliards d’euros jusqu’à 2030 pour tenter de rattraper une partie du retard pris. Sous-effectifs. Matériels usés et fatigués. Manque criant de munitions. A l’évidence, l’argent public n’a pas nourri les marchands d’armes !
Mais alors, l’argent public a-t-il été investi dans le domaine essentiel à la nation qu’est l’éducation nationale ? Que nenni. Notre école n’a jamais été autant en crise. Crise des vocations pour un métier sous-payé. Nos enseignants sont les moins bien payés des pays européens comparables. Ecoles, collèges et lycées pour beaucoup en mauvais ou très mauvais état. Manque de matériel. Manque d’argent pour les cantines. Quant aux universités, c’est le grand déclassement. La misère estudiantine est proprement scandaleuse ! Comment s’étonner du décrochage de nos diplômés et de nos universités dans le classement mondial ? Il ne faut pas chercher l’argent public dans notre système éducatif.
Reste la justice. Domaine régalien essentiel. Pilier de notre démocratie. Il mériterait un investissement massif de l’Etat. Eh bien non ! Encore une fois mauvaise pioche. Si notre ministre de la justice a obtenu une augmentation de 7 % de son budget, cela ne suffit pas à expliquer la disparition massive de l’argent public. Tribunaux surchargés. Manque criant de greffiers et de juges. Manque de matériel. Locaux souvent dégradés voire délabrés. Quant aux prisons, les nouvelles promises maintes fois n’ont jamais été construites faute de budget…
Si ce n’est pas dans les domaines régaliens que l’Etat surinvestit pour le mieux-être de ses citoyens, peut-être a-t-il priorisé des domaines d’excellence comme la culture ? Désolé, la culture est le plus petit budget de l’Etat. L’écologie et le développement durable ? Pas plus.
A défaut, l’Etat a dû investir dans des filières ou des projets d’avenir comme il le fit dans les années glorieuses en développant la filière nucléaire, la filière aéronautique et spatiale ou les projets tels que celui du TGV et autres réussites françaises. La réponse est à nouveau négative. L’Etat s’est progressivement désengagé des secteurs considérés comme des services publics : énergie, transports, banques etc., et a privatisé tout ce qu’il pouvait décemment privatiser.
Après cet inventaire des postes importants de dépenses et d’investissements de l’Etat, la question reste entière : où disparaît l’argent public ? Prenons le problème par l’autre bout. Quels secteurs ou entités se portent bien ? Et suivons l’argent.
Actuellement et depuis de nombreuses années, les riches n’ont jamais été aussi riches, quand la pauvreté et la précarité progressent. Les entreprises du CAC 40 (mais pas qu’elles…) n’ont jamais fait autant de profits. Chaque année, le record des dividendes est battu ! Quand, dans le même temps, les Restos du cœur risquent l’arrêt cardiaque.
Contrairement à ce que nous entendons souvent, la France est un pays de cocagne pour les entreprises. Quand tout va bien, elles obtiennent un allégement des contraintes, des réglementations et des impôts sur les sociétés pour les laisser profiter au maximum, et le ruissellement fera le reste. Mais à la moindre difficulté, elles viennent pleurer dans l’oreille de l’Etat et obtiennent des aides à gogo. Un chiffre. L’aide aux entreprises a représenté, peu ou prou, 160 milliards d’euros quand le déficit budgétaire était de 124,9 milliards d’euros. Cherchez l’erreur.
L’exemple du confinement est spectaculaire à cet égard. L’Etat a pris à sa charge 100 % du salaire des salariés en chômage partiel et, mieux encore, il a compensé à l’euro près, non pas le résultat des entreprises durant la période, mais le chiffre d’affaires ! Nombre de restaurateurs se sont ainsi vu verser leur chiffre d’affaires sans avoir à payer leurs salariés et en pouvant continuer à faire le même nombre de repas en vente à emporter… Le jackpot !
Rappelons aussi les 100 milliards de niches fiscales qui concernent les entreprises et les particuliers des classes aisées. L’Etat leur permet d’économiser de l’argent qu’ils pourront, ensuite, prêter à l’Etat en souscrivant des emprunts ou obligations d’Etat. Elle est pas belle la vie… des riches en notre beau pays ?
De tout temps, l’Etat français qui est dirigé et administré par une « élite » constituée de hauts fonctionnaires et de cadres dirigeants interchangeables qui gravitent dans la même sphère politico-économique, a toujours appliqué l’adage populaire qui dit que « l’argent appelle l’argent ». Aujourd’hui, nous pouvons dire que le mystère français de l’argent public qui disparaît est éclairci.
Et une vérité saute aux yeux. Sans une meilleure répartition de l’argent et, surtout, une réelle efficacité budgétaire de l’Etat où chaque citoyen pourra constater à quoi servent réellement et concrètement les impôts et les taxes prélevés, la méfiance envers les politiques ne fera que croître et le consentement à l’impôt décliner. Alors la démocratie sera réellement en danger.
Francis Guilbaud, Saint-Gilles (Ille-et-Vilaine)
Le Monde
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